Ces dernières décennies, la France a manqué de nombreux rendez-vous technologiques. Nous avons sous-estimé la révolution internet, trop attachés à notre minitel (« Internet, ca ne marchera jamais », me lança mon banquier lorsque je lui ai présenté mon projet entrepreneurial en 1998 !). Nous sommes passés à côté de la révolution des moteurs de recherche, celle des réseaux sociaux, du cloud… À chaque fois, nous avons raté le coche. Mais cela n’a pas fondamentalement remis en cause notre modèle économique : des start-up vertueuses ont pu se développer, nos grandes entreprises ont continué de prospérer, et nos structures ont survécu aux secousses de ces bouleversements.
Si nous avons réussi à faire preuve de résilience après tous ces rendez-vous manqués, il est fort à craindre que cela ne suffise pas face au tsunami de la révolution de l’IA. En effet, l’intelligence artificielle n’est pas une révolution technologique comme les autres, elle est un changement de civilisation. Là où les révolutions précédentes ont modifié nos outils et nos pratiques, l’IA redéfinit les fondements mêmes de notre rapport au monde : elle impacte l’éducation, transforme le travail, et bouleverse la santé.
L’IA va aussi profondément transformer notre rapport à la démocratie en remettant en cause notre perception de la vérité. À l’ère des fausses informations et des algorithmes capables de générer une réalité parallèle, la frontière entre vérité et mensonge s’efface. Ce phénomène menace de saper les fondements mêmes de la confiance, qui est le socle de notre contrat social. Face à ce bouleversement, notre rapport au pouvoir doit évoluer : plus d’horizontalité, plus de subsidiarité, avec un pouvoir central concentré sur ses missions essentielles. Il faut donc, pour reprendre les mots de Tocqueville, « une science politique nouvelle à un monde tout nouveau ».
Manquer la révolution de l’IA, ce n’est donc pas simplement prendre du retard technologique ou perdre en compétitivité. C’est notre souveraineté, notre place dans le monde, et même notre cohésion nationale qui sont menacées.
Je dis souvent que l’IA devrait faire la une de tous les JT. Hélas, en France, elle reste le plus souvent reléguée au rang de sujet secondaire, voire technique. Pendant que les États-Unis et la Chine se disputent la suprématie technologique, La France et l’Europe restent à l’écart. La Chine détient 52 % des brevets mondiaux dans l’IA, tandis que les États-Unis en possèdent 17 %. Ces deux géants dessinent l’avenir, pendant que la France, elle, voit sa part dans les dépenses mondiales de R&D technologique chuter de 6 % à 2 % en seulement quinze ans. Ce déclin doit être un signal d’alarme.
Quant à l’Europe, elle semble s’engager dans un véritable suicide économique avec son « IA Act », qui vise à réguler l’IA. Sauf qu’à vouloir trop encadrer, nous risquons de tuer dans l’œuf les initiatives qui pourraient nous permettre de prendre part à cette révolution, et pire encore, pousser les talents les plus brillants à s’exiler dans des terres plus favorables à l’innovation. Laissons le génie français s’exprimer ! Car comme nous le rappelle Hayek, que « le progrès ne peut être planifié, il est par nature imprévisible. Il consiste essentiellement en la création de l’inattendu et de l’imprévisible ».
Au lieu d’être obsédée par la régulation, la puissance publique doit donc surtout jouer un rôle d’accompagnement et de stimulation. Nous avons besoin d’une politique publique qui libère de leurs contraintes les entrepreneurs et les innovateurs, ceux qui portent en eux les germes de la transformation. Plutôt que de réguler, un véritable « IA Act » doit inclure des initiatives fortes pour stimuler la demande. Par exemple, plus de 50 % de la commande publique liée à l’IA (et plus largement à la quatrième révolution industrielle) devrait être attribuée à des entreprises européennes. Cela permettrait de structurer un écosystème dynamique et de renforcer notre tissu industriel technologique. Aujourd’hui, nos champions du CAC 40, avec une moyenne d’âge de 105 ans, illustrent la solidité de notre économie, mais aussi son ancrage dans le passé. À l’inverse, les entreprises du Nasdaq, symboles de l’économie numérique, n’ont en moyenne que 20 ans . Cette comparaison souligne notre besoin urgent de transformer notre modèle pour qu’il soit tourné vers l’avenir.
C’est aussi par l’éducation que nous devons préparer les générations futures à affronter ce nouveau monde. Dans l’ère hautement technologique qui s’annonce, il est vital que nos enfants maîtrisent les fondamentaux de la connaissance, à commencer par les mathématiques, qui permettent de modéliser la complexité, et le français, qui permet d’exprimer cette complexité. À cet égard, l’effondrement de la France dans les classements PISA augure du pire. Si nous ne redressons pas la barre maintenant, nous priverons les générations futures des outils nécessaires pour avoir la maitrise de leur destin, et nous prenons le risque de voir émerger un nouveau clivage entre ceux qui domineront l’IA, et ceux qui seront dominés par elle. Dans un monde où, selon des études récentes, 300 millions d’emplois seront supprimés du fait de l’IA, la maîtrise de ces savoirs devient une question de survie économique, sociale et démocratique.
Je veux insister sur le fait que la révolution de l’intelligence artificielle n’est pas un phénomène abstrait : elle est là, et son impact ne fera que croître. La France ne peut plus se contenter de regarder passer les trains de l’innovation. Elle doit embrasser cette révolution de manière résolue, en mobilisant toutes ses forces : son économie, ses entreprises, ses institutions, et surtout son système éducatif. L’enjeu n’est pas seulement technologique, il est profondément politique et social. C’est une question de souveraineté, d’indépendance et de survie dans le nouvel ordre mondial qui se dessine. La France a les talents, les ressources et l’histoire pour faire de cette révolution une opportunité. Mais cela demandera de l’audace, du courage et une capacité à se réinventer. L’heure n’est plus à l’hésitation. L’avenir appartient aux nations qui agissent maintenant.
Rafik Smati
J’ai toujours l’impression qu’en France on débat pendant que les autres agissent… L’IA c’est maintenant ou jamais… Merci pour cette tribune, j’espère qu’elle fera bouger les lignes.
Je m’inquiète pour l’avenir de mes petits-enfants… Le monde change à une vitesse folle et je crains qu’on ne soit pas prêts à affronter ces bouleversements. Votre vision me rassure un peu, car je sais que vous parlez en connaissance de cause… J’espère de tout cœur qu’on prendra enfin les bonnes décisions!
Je vous fais confiance et j’espère que la France saura se mettre à l’ère de l’IA, mais que faut-il faire pour que nos gouvernants s’y mettent?