Tribune initialement publiée dans Les Echos
Jamais dans l’histoire des industries et des techniques une innovation n’a connu une vitesse d’adoption aussi fulgurante que ChatGPT. En l’espace de seulement quatre mois, cette intelligence artificielle générative a conquis des centaines de millions d’utilisateurs, un succès impressionnant surpassant de loin celui de tous les autres services numériques de notre époque.
Pourtant, malgré l’engouement suscité par ChatGPT et d’autres IA génératives, certains s’inquiètent de voir ces technologies venir menacer l’emploi et la stabilité de nos sociétés.
Bien que compréhensibles, ces peurs sont en réalité infondées. L’histoire nous enseigne en effet que la technologie n’a jamais supprimé des emplois sur le long terme. Bien au contraire, les pays les plus robotisés du monde connaissent généralement les taux de chômage les plus faibles et la prospérité la plus forte. Et il est fort probable que les sociétés qui sauront embrasser la révolution de l’intelligence artificielle seront celles qui prospéreront le plus, dès lors qu’elles auront su bâtir une politique de formation professionnelle efficace, permettant aux salariés de s’adapter à un monde du travail en mutation.
Ne laissons pas nos craintes nous submerger. Travaillons plutôt à la manière dont nous pourrons utiliser ces technologies pour créer un avenir de prospérité et de croissance. À cet égard, l’Europe doit intensifier ses efforts en matière d’innovation pour rattraper son retard par rapport aux États-Unis et à la Chine. Le projet ICTE lancé récemment par l’Union européenne, doté de 3,5 milliards d’euros, constitue un signal prometteur, mais il est encore loin d’être suffisant. L’Europe doit aussi s’organiser et se montrer forte pour garantir la protection des données et anticiper les défis éthiques que pourraient un jour poser une utilisation malveillante de l’IA. Le Digital Services Act (DSA) porté par Thierry Breton constitue la première étape dans l’affirmation de cette Europe puissance. La France, quant à elle, réussit à s’imposer peu à peu comme un phare de la révolution numérique, avec une FrenchTech dynamique, qui fait émerger de plus en plus d’entreprises susceptibles de peser dans les rapports de force à venir.
Face au tsunami qui vient, il devient également essentiel de repenser le rôle de l’école. Nous avons la responsabilité d’offrir à nos enfants une éducation d’excellence qui valorise la culture scientifique et les mathématiques, afin qu’ils puissent évoluer et s’épanouir dans un monde hautement technologique en perpétuelle évolution. Il ne s’agit plus de permettre aux humains de rivaliser avec les IA, mais plutôt de travailler avec elles pour en tirer le meilleur.
Outre les inquiétudes liées à l’emploi, d’autres peurs se font entendre, en particulier dans la frange la plus réactionnaire de la société, pour qui ChatGPT serait un cheval de Troie progressiste qui chercherait à imposer la culture « woke ». Ceux-là n’ont pas compris que les IA génératives d’aujourd’hui, parce qu’elles puisent leurs données dans toutes les connaissances de l’humanité, sont par nature consensuelles et rassembleuses. Elles ne sont ni « woke », ni d’aucune idéologie : elles sont tout simplement la quintessence de la connaissance humaine. De quoi, j’en conviens, contrarier ceux qui cherchent à opposer et diviser.
De tout temps, le progrès a suscité des craintes et des inquiétudes. Cela a été le cas pour l’imprimerie, la vaccination, la voiture, la radio, et bien d’autres innovations qui ont changé le monde. Nous avons la chance de vivre une époque de grands bouleversements technologiques qui vont métamorphoser notre civilisation. Ne laissons pas nos craintes nous aveugler et nous priver de toutes les opportunités qu’elle nous offre. Apprenons à dompter l’intelligence artificielle et à l’utiliser pour le bien commun. N’ayons pas peur de l’avenir , mais embrassons-le. Il en va de notre souveraineté, de notre liberté et de notre prospérité.
Rafik Smati
Jai toujours admiré l’intelligence pragmatique de monsieur Rafik