Charles de Gaulle est l’un des plus grands homme d’Etat que la France ait connue. Son action et son courage ont marqué l’histoire de notre pays au même titre que les plus grands empereurs romains, que Clovis, que Charlemagne, ou que Napoléon Bonaparte… Il est, avec Georges Clemenceau, l’un des deux dirigeants politiques français qui ont fait le XXème siècle.
Aujourd’hui encore, l’homme du 18 Juin est omniprésent dans le débat public. Et pour cause. Charles de Gaulle est le père de la constitution qui régit notre vie démocratique. Nous lui devons notre rang dans le concert des nations (siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies, arme nucléaire…). Il est à l’origine de ces grands programmes qui font encore la fierté et la grandeur de notre pays (Airbus, indépendance électrique…). De tout cela, nous lui en sommes infiniment reconnaissants.
Charles de Gaulle est encore parmi nous. Il reste la figure politique emblématique de la France d’aujourd’hui. Chaque président de la République, de gauche comme de droite, revendique son appartenance à la lignée gaulliste. Tous les partis politiques, y compris les extrêmes, tentent de s’emparer d’une part de son héritage. Se réclamer du général de Gaulle permet aux dirigeants politiques médiocres de s’approprier à moindre coût les attributs de l’action et de la pensée gaulliste : puissance réformatrice, grandeur de la France, indépendance nationale…
L’ombre du Grand Charles plane sur notre vie démocratique. Cette ombre est instrumentalisée par les dirigeants politiques en quête de légitimité ; elle paralyse la droite, incapable de se reconstruire sur des bases modernes ; et elle empêche la France d’embrasser son siècle. Aussi, malgré toute l’admiration que j’ai pour ce personnage d’exception, je pense que le temps est venu de lâcher son ombre, de lever les yeux, et d’avancer. Oui, le temps est venu de « tuer le père », pour reprendre l’expression métaphorique freudienne. Tuer le père, pour permettre à la France de grandir…
Se libérer de l’ombre de ce père charismatique serait salutaire pour la France et pour le peuple français. Cette émancipation est d’autant plus nécessaire que les questions qui se posent aujourd’hui sont totalement inédites, et appellent des réponses nouvelles : Comment réarmer la France, militairement et moralement, et lutter contre un obscurantisme qui cherche à déstabiliser notre modèle de société ? Comment affronter le péril migratoire ? Comment retrouver notre souveraineté budgétaire et éviter le mur de la dette ? Comment retrouver des capacités d’actions dans un pays qui n’est plus gouverné, mais administré ? Comment reprendre le pouvoir face aux géants du web, dont la puissance de frappe est désormais supérieure à celle de la plupart des États ? Comment allons-nous exister dans cette nouvelle géopolitique des puissances ? Comment préserver l’humanité, les espèces vivantes, et la planète, des excès que nous avons nous même générés ? Et enfin, par dessus tout, comment replacer l’humain au coeur de notre modèle économique et démocratique ?
Les mutations qui traversent notre société sont uniques dans un millénaire. Tout est à repenser : notre rapport au travail, à la santé, aux transports, à l’humain… En germe, des progrès colossaux, qui pourraient conduire l’humanité à une prospérité durable. Mais aussi des risques historiques : nous connaissons actuellement la sixième grande extinction de masse : les insectes (au premiers rangs desquels les abeilles), les oiseaux, et de nombreuses autres espèces disparaissent peu à peu de la surface du globe. Nous aussi, les humains, sommes menacés par cette crise écologique. Un autre péril est devant nous : la possible suprématie à venir des intelligences artificielles, si le fameux point de singularité devait advenir. Cela n’est pas de la science fiction, mais notre réalité de demain.
Parce que l’histoire ne s’écrit pas à reculons, nous ne pouvons pas nous retrancher derrière des postures nostalgiques. Regardons enfin l’avenir de face ! Et élaborons, ensemble, une nouvelle doctrine politique, une doctrine ambitieuse qui servira de matrice à la construction de ce siècle. Cette ligne politique doit conjuguer courage politique pour réformer notre économie, fermeté sur nos valeurs, lucidité face aux enjeux technologiques…
Nous détacher de l’ombre du Grand Charles n’est pas insulter le passé. Ceux qui me connaissent savent à quel point je considère notre histoire et notre culture comme des richesses immenses, à quel point je considère que les racines sont indissociables des ailes. Mais l’action politique s’accommode mal de postures nostalgiques. Si je me suis engagé pour notre pays, c’est pour contribuer à le propulser dans l’avenir en puisant ses ressources dans son passé, non pas pour ressasser son passé avec nostalgie.
La grandeur de la France ne se proclame pas : elle se construit.
Rafik Smati